lundi 21 janvier 2008

"Géopolitique de la Méditerranée" V : « Ben Laden a-t-il un projet géopolitique ? »




Carte des attentats islamistes, 1990 - 2003 (Rageau, 2005)






Les 8 règles du combattant de l'avant-garde.


Source: Abdullah Azzam, « Al Qaida al-Sulbah », Al-Jihad, n. 41, avril 1988, p. 46








Citations:



« Chaque musulman qui en est capable a le devoir personnel de tuer les américains et leurs alliés, civils et militaires, en tout pays où cela est possible »

Fatwa de février 1998 du Front international du jihad contre les juifs et les croisés



« Si donner un sens à la vie peut-être considéré en fonction d’une croyance en l’au-delà comme un acte religieux, vouloir organiser la société en conformité avec cette croyance est une démarche politique »

Rémy Leveau, 1992



Introduction :



Démarche : Je voudrais tout de suite avancer que si ce sujet parait racoleur, il ne l’est en fait pas du tout, le terrorisme étant un objet d’étude tout à fait valable des des sciences sociales en général et de la géopolitique en particulier.



En revanche, il s’agit d’un sujet d’actualité, avec tous les risques que cela implique, notamment de tomber dans le journalisme, c’est pourquoi nous tenterons de nous en tenir au raisonnement à froid de l’analyse géopolitique.



Ne vous attendez pas donc à des révélations sur l’endroit où se cache Ben Laden ou sur le fait de savoir s’il est toujours vivant. Pour éviter tout sensationnalisme je tenterais justement de me détacher de l’actualité afin de saisir la spécificité du projet géopolitique de Ben Laden.

Nous nous attacherons à saisir les tendances lourdes dans lesquelles la mouvance de ce personnage s’inscrit puis de voir ensuite quels ont été les événements déclencheurs de cette action violente. Ensuite je tenterai d’interroger l’espace afin d’interpréter cette mouvance Al Qaida dont Ben Laden est l’émir général. Pour cela, je me fonde sur un corpus de 8 textes, tous antérieurs au 11 septembre (présentés en annexe).



Ce que je peux vous dire en guise d’introduction c’est qu’Al Qaida est bien un groupe politique, guidé par une idéologie religieuse, mais qui fonctionne sur la base d’un réseau culturel. Ceci est fondamental.



Ben Laden n’est pas le seul à avoir recours à la violence pour satisfaire ses objectifs politiques mais il est le seul à avoir construit un groupe réellement multinational capable de frapper n’importe où dans le monde.



Et surtout il est considéré comme le symbole suprême de la résistance à l’impérialisme américain.



Or la question que l’on peut se poser est la suivante : pourquoi a-t-il besoin de frapper n’importe où dans le monde alors que ces objectifs principaux semblent être de libérer les lieux saints, l’Arabie Saoudite de la présence américaine et de faire le jihad dans les pays musulman. Autrement dit, comment est-il passé de l’Afghanistan des années 1980 au World Trade center. Ce paradoxe est-il expliqué par le projet géopolitique de ben Laden, ou bien par l’histoire stratégique de la constitution de son groupe ?



C’est ce que nous allons voir. Avant je voudrais faire un point rapide sur le terrorisme.



Le terrorisme :



Il est convenu de situer la double naissance du terrorisme contemporain à la date de 1968 : Avec la création de la matrice proche-orientale (FPLP de Georges Habache qui détourne deux avions de la compagnie israélienne "El Al" cela inaugure la vague contemporaine du terrorisme transnational, c’est-à-dire celui qui frappe ailleurs que sur le théâtre même où se situe le conflit) et la matrice latino-américaine, qui, après l’échec du Che en Bolivie, préconise la guérilla urbaine imités. Occident et au Japon è des mouvements qui espèrent modifier la situation des pays démocratiques : Rote Armee Fraktion en Allemagne fédérale, Brigades rouges en Italie, Action directe en France, etc.



Jusqu’au début des années quatre-vingts, il a surtout été laïque avant d’avoir, à partir de la révolution iranienne, une connotation religieuse, même si le projet reste fondamentalement politique.



Dans les années quatre-vingt-dix, il se distingue par le fait qu’il se manifeste aussi aux États-Unis: World Trade Center (1993) ou l’attentat meurtrier du bâtiment fédéral d’Oklahoma City exécuté par des membres de milices d’extrême-droite (1994).



En soi, le terrorisme est une méthode et l’appréciation politique d’un mouvement ou d’un groupe dépend, comme dans toute analyse d’une quelconque forme de violence politique, du contexte spécifique du mouvement ou du groupe et de l’analyste.



L’objectif premier du terrorisme est de répandre la terreur. Le total des trois décennies du terrorisme international contemporain serait d’environ 10 000 morts : ce chiffre est, militairement, de peu de conséquence. Le véritable impact est d’ordre psychologique : ce qui est d’abord visé, ce sont les esprits et les volontés.



Dans les faits, les succès politiques des divers terrorismes sont, à ce jour, extrêmement limités. Car aucun État n’a été déstabilisé, ni aucune politique radicalement modifiée sous la pression du terrorisme.



En fait, nos États sont aujourd’hui si puissants qu’ils ne sont soumis à aucune menace militaire. Ils ne peuvent être défiés que par des actes à caractère terroriste qui restent l’arme du faible.



Le terrorisme, qui est en somme devenu un substitut à la guerre, a certes une considérable capacité de nuisance mais son rôle déstabilisateur est de peu de conséquence et le nombre de ses victimes, du moins en ce qui concerne le terrorisme international, reste, si on se réfère aux trente dernières années, très limité.



Dernier point sur ce que n’est pas le terrorisme, à savoir la différence avec la guérilla : le territoire et le nombre.





Qui est Ben Laden ?



1979, une date clé



Le rôle de l’Afghanistan pour Ben Laden, première étape capitale



1991: le rôle de la guerre du Golfe



1991 : Le soudan, seconde étape capitale



Il revint à l’été 1996 en Afghanistan





Qu’est ce qu’Al-Qaida ?



Les origines d’Al-Qaida



Structure



Répartition géographique



Stratégies





Les représentations et le projet géopolitique de Ben Laden



Ben Laden a une vision binaire du monde



Ben Laden a, en outre, une vision romantique, un romantisme tragique, du monde



Un projet géopolitique assez simple



Afin de réaliser ce projet, Ben Laden a trois objectifs à court, moyen et long terme





Interprétations



La dimension existentielle de l’acteur



L’occidentalisation du monde





Conclusion : La vulnérabilité des sociétés occidentales



Nous avons donc vu que Ben Laden a repris une organisation crée par Azzam, une avant-garde des fidèles, selon les deux hommes. Ben Laden a aussi été influencé par la nature multi-ethnique du jihad afghan et par la pensée panislamique d’Et Tourabi, son hôte du Soudan.



Nous avons également vu que Ben Laden n’a jamais interprété l’Islam pour soutenir un but politique mais que l’Islam, sous la forme du Califat et de la Umma est son but politique, son projet géopolitique.



Les démocraties libérales se sont révélées particulièrement vulnérables face à ce projet et à l’infiltration d’Al-Qaida, ceci pour deux raisons majeures : les terroristes exploitent les deux dimensions fondamentales de nos sociétés, la démocratie et l’économie de marché. Ces deux dimensions étant complètement retransformées par le processus structurel de mondialisation.



Ainsi de la démocratie, Al-Qaida a largement profité de la tolérance et de la liberté d’expression et même des limites que nos constitutions imposent au contre-terrorisme. Des économies de marché, Al Qaida a profité de la circulation des biens et des personnes, de la mise en réseau et des nouvelles technologies.



Al Qaida en tant qu’hyperterrorisme est problématique, mais le plus dangereux est la séduction qu’il exerce et il faut donc lui opposer une contre idéologie puissante et crédible.



Car si aucun groupe terroriste n’est immortel et qu’il dure en moyenne 14 ans (Chaliand y voit lui un épiphénomène, dérangeant mais marginal) Al Qaida radicalise les pensées de l’homme moyen.



Ainsi une stratégie de réponse à court moyen et long terme devrait inclure une réponse militaire, puis idéologique et enfin politique et sociale (ie, régler les motifs de plainte de la "rue musulmane").



Annexes :



Présentation des huit documents :



Le premier est une déclaration de guerre. Daté du 23 août 1996, elle intervient après l’attentat dans le camp militaire de Khobar en Arabie Saoudite de juin 1996. Ce communiqué, intitulé « declaration of war against the americans occupying the land of the two holy places », sera considéré par le monde occidentale et les Etats-Unis en particulier comme une déclaration de guerre (Blanc, 2001). Keppel y parle lui d’une déclaration de jihad (Keppel, 2000). Ce texte de 14 pages s’apparente dans sa forme à la production des du courant « salafiste jihadiste » tels ceux produits par la revue du GIA al-Ansar par exemple (Keppel, 2000). Le texte est rempli de citations coraniques, de hadith (les faits et dires du prophète) et de références à Ibn Taïmiyya. Ce texte exprime sa vision géopolitique du monde, les raisons de ces prises de position et les solutions préconisées. Le communiqué est destiné aux musulmans du monde entier et particulièrement à ceux de la péninsule arabique.



Le deuxième texte est une interview. Datée de octobre-novembre 1996, pour le magasine Nida’ul’s Islam, magasine bi-lingue édité en anglais et en arabe, et basé au Qatar. Dans ce texte de cinq pages, il est ici plus question de la situation propre au royaume saoudien et de sa politiquer intérieure et extérieure. Le ton y est moins emphatique.



Le troisième texte, daté de mars 1997, est une interview pour CNN de Peter Arnett. L’entrevue se passa dans l’est de l’Afghanistan et les questions furent posées à l’avance. Ben Laden revient sur tous les grands thèmes : jihad, unifications de tous les musulmans…



Ensuite nous présentons une fatwa. C’est un texte succinct mais non signé uniquement de sa main. En février 1998 se crée, en effet, le Front international du jihad contre les juifs et les croisés. Cinq personnalités dont Oussama Ben Laden ; Ayman al-Zawahiri, le leader du groupe al-Jihad ; Abu Yasir Ahmad Taha, leader de la gama’a islamiyya ; Mir Hamzah, secrétaire du JUP (Jamiat-u Ulama-e Pakistan) ; Fazlul Rahman, leader du mouvement al-Jihad du Bengladesh. La déclaration de six pages rendant publique la création de ce front fut publiée quelques temps plus tard. Elle citait aussi abondamment le Coran et Ibn Taïmiyya et reprenait les accusations passées contre « l’alliance sioniste croisée » (Blanc, 2001), cependant, elle passe à un nouveau stade de l’affrontement contre celle-ci grâce à la fatwa qui l’accompagne. Il faut savoir qu’une fatwa est une « réponse rendue sur une question juridique par un juriste chargé de présenter, pour ce cas précis, une interprétation qui facilite l’application de la loi » (Sourdel, 1996). Cette fatwa stipule que « chaque musulman qui en est capable a le devoir personnel de tuer les américains et leurs alliés, civils et militaires, en tout pays où cela est possible ». Comme nous l’avons vu, le 7 août suivant les ambassades américaines de Nairobi et Dar es-Salaam explosent. Lors de l’étude de textes normatifs comme une fatwa (texte de loi), il convient d’étudier son applicabilité et sa forme : est-elle dans le canon des autres textes produits. Nous ne le ferons pas par manque d’exemple. Pour ce qui est de son applicabilité, elle semble opérationnelle dans l’absolue, et l’a même été plusieurs fois.



Les deux derniers textes sont encore des interviews. L’une de mai 1998 pour la chaîne ABC, il s’agit de l’entretient de John Miller précédé par celui de la garde personnelle de Ben Laden (Muhammad Atef et le leader du djihad islamique) et de moujahidines. Les questions, comme pour de nombreux entretiens sont soumises par avance et cela se passe en Afghanistan. L’autre entretien est de juin 1999, il s’agit de celui d’une chaîne américaine, par Salah Najm ; sa spécificité est de combiner des réponses de Ben Laden et des interventions de protagonistes et connaisseurs du contexte. Au cours de ces entretiens, Ben Laden condamne les forces occidentales qui interviennent dans les pays musulmans et qui soutiennent Israël, qui tuent depuis longtemps des palestiniens mais aussi les enfants irakiens…La rhétorique que nous connaissons aujourd’hui semble se structurer à cette époque.



Un article de Azzam de 1988 sur la naissance d’Al qaida : Abdullah Azzam, « Al Qaida al-Sulbah », Al-Jihad, n. 41, avril 1988, p. 46 . Azzam y présente les objectifs de la base solide, avant-garde de la lutte islamiste mais aussi les principes nécessaires au succés de cette entreprises. Il meurt l'année suivante et le projet est repris par Ben Laden.



Déclaration de Jihad contre les tyrans du pays, serie militaire, manuel d’entrainement d’Al-Qaida.

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