mardi 5 février 2008

Les figures du philosophe-voyou, pour une histoire dangereuse de la philosophie


Cours 6 : Antiphon, le philosophe hors-la-loi


Introduction :

A) Rappel :

· Nous avions arrêté notre parcours philosophique à un panorama, un belvédère relativement dangereux : celui des réalistes tragiques. On avait découvert un petit groupe de penseurs, qui, loin de former une communauté à part entière, se ressemblait sous une même vision de l’existence. Je vais la rappeler brièvement, car elle va résonner au cours de notre rencontre de ce soir.

· Leur point commun – rappelons leur nom : Thucydide, Thrasymaque, Glaucon, Adimante, Calliclès – est une extrême lucidité sur l’existence et ses mécanismes. La vie est régie par « la loi du plus fort », cette idée que la nature, la phusis pour le dire en grec, est reine, imposant une logique de lutte pour l’existence, lutte pour la domination entre les hommes. Sorte de déterminisme implacable : l’homme condamné à écraser son prochain ou à l’être à son tour.

· Certains, comme Calliclès ou Glaucon, nous avaient même porté la démonstration que les lois, présentées comme justes, légitimes et sources de concorde depuis tout temps, n’étaient en fait qu’une expression hypocrite et malade de cette soif de domination que l’être humain a en lui, consciemment ou non. Les lois étaient apparues dans leur plus simple appareil, nues, si vous me prêtez l’expression : des artifices « légaux », subtils et pérennes pour acquérir la force et réduire les autres en esclavages. Sans jamais être soupçonné du pire.

· Je vous avais alors proposé une réponse, autorisant l’homme à se redresser, à secouer ses chaînes tel un lion, l’expression est de Calliclès, et à outrepasser le droit positif (les lois que l’on pond et rédige dans nos Assemblés) : assumer pleinement sa volonté de puissance par delà le bien et le mal, au-delà de toute morale moralisante, la moraline de Nietzsche, vivre et agir dans la célébration du droit de la nature ;

· qui ne fait pas que je tue mon voisin si l’idée me traverse la tête, ou que je le vole si cela m’amuse, mais qui fait que rien n’est placé au-dessus de mon moi, que l’homme, l’individu singulier que je suis, occupe le centre de l’univers ; le vol et le crime resurgissent alors, mais justifiés par les nécessités de la nature.

· et qu’enfin le réel se colore d’une lumière tragique : je suis condamné à être l’acteur et le spectateur d’un univers en lutte. Thérapie philosophique : le fait de savoir guérit l’homme du mal qui l’accable, sans que ce mal disparaisse, bien entendu. C’est le propre d’une tragédie : le héros est accablé par son destin, mais vit son existence néanmoins.

B) Antiphon, un autre philosophe hors-la-loi

· J’aimerais vous présenter ce soir Antiphon, qui est un autre penseur hors-la-loi. Quand on fait le compte des penseurs qui ont pensé contre le nomos, on ne trouve pas grand monde. Comme si, finalement, le confort intellectuel était préférable à l’existence philosophique : l’assoupissement contre l’éveil, la torpeur contre la vie. On n’aime pas ces philosophes : pour Antiphon, j’ai encore vérifié en finalisant le cours de ce soir : absence sans équivoque de toutes les anthologies scolaires. Une pensée qui compte pour rien au regard de la postérité philosophique.

· Antiphon d’Athènes aurait pu reprendre à son compte la célèbre phrase de Descartes de ses Médiations (Préambule de ses Cogitationes privatae) : j’avance masqué, larvatus prodeo. On ignore sa date de naissance, celle de sa mort (peut-être vers 411 avant J-C). On pense qu’il est un peu plus jeune que Gorgias. Pire, on ne sait pas qu’il est réellement, puisque un grammairien de l’Antiquité, Didyme, prétend qu’il existe deux Antiphon, l’un serait notre sophiste et orateur, un autre serait un logographe (qui écrit des discours pour les autres), homme politique, chef de guerre, originaire de Rhamnunte (près de Marathon), partisan d’un coup d’Etat oligarchique. Romeyer dit que des découvertes récentes ont prouvé l’unité, Michel Onfray dit que cela a prouvé le contraire… Prudence donc.

· Je vous propose d’aller au-delà de cette question de spécialiste et de prendre dans les fragments d’Antiphon, qui nous sont demeurés, ce qui permet de dessiner un Antiphon voyou : il est entendu, depuis le début de notre histoire de la philosophie dangereuse que nous avons souvent à faire à des personnages conceptuels. Le rassemblement de quelques fragments et leur interprétation fournissent de quoi sortir du néant ces penseurs…et c’est déjà très bien comme cela.

· Avec Antiphon on va découvrir, non pas une sorte de cri tragique et philosophique, comme celui de Calliclès et de Thrasymaque, mais un système philosophique de l’anti-nomos, du hors-la-loi. Une architecture bien faite et bien construite.

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I) Retour de l'argent en philosophie

II) Un matérialisme hors-les-formes

III) une éthique hors-la-loi

IV) Une psychanalyse hors-le-temps

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En conclusion :


· Sur cet acte de fondation de la psychanalyse par Antiphon, s’achève notre portrait de notre philosophe hors-la-loi. Je crois qu’il s’agit d’une des pensées les plus percutantes de notre Vème siècle. On est passé du cri philosophique de Calliclès appelant à la volonté de puissance à un système philosophique de la force de la nature.

· Les formes tentent de fixer la matière, mais en vain, celle-ci reprend toujours ses droits.

· Les lois tentent de figer les mouvements naturels de l’homme, mais en vain, celui reprend toujours ses droits et fait voler les lois en éclats.

· Les mots tentent de s’approprier le réel, mais en vain, la parole du sophiste crée un autre langage qui permet de retrouver la nature et la santé.

· Retour à Antiphon, donc. Pour une célébration d’une nature puissante et joyeuse, débarrassée du carcan légaliste.

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