lundi 21 janvier 2008

Les figures du philosophe-voyou, pour une histoire dangereuse de la philosophie

Cours 5: Le réalisme tragique des penseurs voyous



Introduction :

A) Rappel :

• Nous avions vu, lors de notre dernière rencontre, le portrait de Socrate en guerrier, en spadassin, l’épée à la main. On avait attiré l’attention sur quelques faits historiques jamais considérés dans la biographie du philosophe célèbre : ses gestes, dans la polysémie du terme, durant la guerre du Péloponnèse : Potidée, Amphipolis, Délion. Autant de noms qui fonctionnent comme marques - « marqueurs » philosophiques, des cicatrices qui font qu’un homme n’est plus le même après. La guerre ne laisse pas indifférent. Elle trempe le caractère.

• Car, au Vème siècle plus qu’à aucun autre moment de l’histoire militaire, quand on est fantassin, comme l’était Socrate, on est confronté, condamné même, à prendre la vie de l’ennemi. Sans quoi, c’est lui qui vous la prend. On avait donc dit l’atrocité philosophique : Socrate, le père de la philosophie était un meurtrier. Ce fait dérangeant avait permis de mettre en valeur le relativisme de nos philosophes. Le prix même de la vie humaine est question de point de vue, relatif à une situation donnée, à une conception du monde. Il n’est en rien absolu.

• Notre rencontre avait aussi permis de remettre Socrate à sa place en termes d’historiographie philosophique : Socrate était un sophiste, athénien certes, au même titre que nos autres philosophes dangereux, et même un excellent sophiste, inclassable, et qui fut l’objet d’une « récupération » philosophique par Platon : à la mort de Socrate en 399 av J-C, Platon se met à rédiger des dialogues dont celui-là est le héros. Tout est alors possible pour Platon : pour extraire une philosophie socratique, on ne peut que se reporter aux faits historiques et biographiques.

• La mort de Socrate faisait sens : éloge du suicide, de la mort volontaire comme exercice philosophique. Que philosopher, c’est apprendre à mourir. Socrate regarde la mort en face : un examen attentif de son procès démontre que Socrate fait tout pour provoquer sa propre condamnation à mort. Et qu’une fois condamné, il ne fait rien pour s’y soustraire, alors que les moyens sont là pour s’échapper. Fin de la mystification platonicienne sur Socrate.


B) Les penseurs du réalisme tragique

• La mystification platonicienne cependant est plus solide que cela: le fait de faire tomber la statue de Socrate du côté de la philosophie dangereuse ne suffit pas à renverser l’œuvre de Platon. Il nous reste encore un groupe de penseurs qui a fait les frais de la forgerie platonicienne : c’est le groupe des philosophes de ce que j’appelle « le réalisme tragique ».

• Parmi eux on trouve aussi bien des historiens, comme Thucydide, ou des sophistes, tels Thrasymaque, Glaucon, Adimante et Calliclès. Nous allons examiner les nuances que chacun a apportées. Leur point commun : refuser de voir le monde en se voilant la face, en se racontant des histoires, en créant des « mythologies » pour le dire dans les termes de Roland Barthes. La mythologie, nous dit Barthes, c’est nos illusions sur les choses, véhiculées par l’idéologie.

• Ces penseurs affirment tous que le monde offre le spectacle de la loi du plus fort, qui fonctionne comme un véritable mécanisme, une sorte de déterminisme. On va voir exactement comment et pourquoi.

• Ces idées n’émergent pas au Vème siècle par hasard. La première raison est le contexte politique : celui des guerres entre hellènes (Spartes et Athènes) : toutes les batailles de la Guerre du Péloponnèse. L’ennemi n’est plus perse, ce n’est plus le barbare ni l’étranger, mais le grec, l’ancien allié, le frère.

• La seconde raison découle de la première. L’apparition d’un débat sur deux notions concepts clés : celui de la nature et de la culture. La phusis et le nomos. Autrement dit, faut-il suivre une existence à l’aune des lois de la nature, et avec elles, nos passions - haine, colère, violence, soif de rapine, ... - ou bien les lois culturelles, celle que la cité a élaboré, dans le cadre de la raison? On pourrait consacrer un séminaire à cette question, tant ses ramifications s’enracine dans le temps et plonge vers l’avenir.

• Nous allons donc voir quelles sont les réponses que nos penseurs voyous apportent à cette question de prime importance, à partir du moment où l’on décide de vivre sa vie de manière philosophique.


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I) Thucydide

II) Thrasymaque

III) Glaucon et Adimante

IV) Calliclès

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En conclusion:

Voila en ce qui concerne le concept de “ réalisme tragique”. Il s’agit donc de voir l’existence dans toute sa nudité, sans mensonge ni illusion rassurante, confortable et aveuglante: la loi du plus fort régit et détermine l’être humain, qui même s’il s’en croit débarrassé y est asservi. Le nomos sert à habiller la phusis pour étendre la domination de quelques uns sur la multitude. L’idée est donc de s’assumer et de se regarder en face, sans baisser les yeux. Et de célébrer sa propre volonté de puissance. C’est ce que je vous invite à faire dès à présent dans vos questions.

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