dimanche 11 novembre 2007

"Les figures du philosophe-voyou, pour une histoire de la philosophie dangereuse", Cours II: Protagoras, le philosophe au javelot









Introduction :

• Rappel : qui étaient les sophistes ? Des intellectuels qui vendaient leur savoir en échange d’un salaire. Des sortes de professeurs. Mais aussi des philosophes qui ont eu une pensée tout à fait valable, a laquelle on a refuse pendant des siècles le titre même de pensée.


• Rappel : leur disparition de la carte de la philosophie s’explique par le contenu de cette philosophie qui vient bouleverser, perturber et même révolutionner le monde de la pensée grecque au Vème siècle avant JC. Sorte de danger de leur époque – qui l’est pour la nôtre aussi.


• Rappel : Pensée de l’opposition qui s’installe nez a nez avec celle de Platon, qui a d’ailleurs gagné la première manche : victoire de l’idéalisme sur le matérialisme. Ce combat a toujours lieu, il suffit d’ouvrir les yeux.


• Rappel : Aujourd’hui, on travaille sur un champ de ruine, des fragments, quelques lignes, voire des pages, enfouies sous une masse de préjugés pérennes : l’expression/insulte « espèce de sophiste » le prouve encore.



• Découvrir Protagoras, qui, dans l’histoire de la philosophie occidentale, est l’objet d’une belle injustice : relégué au rang de philosophe « présocratique », c.f. ce que dit M.Onfray sur cette question. Il meurt en 411, Socrate en 399…av J-C.


• Autrement, c’est un professeur de rhétorique. Point final.


• Les professeurs de philosophie évoquent son nom, lorsqu’il parle du dialogue de Platon éponyme. Et c’est souvent, pour ne pas dire toujours, pour montrer la supériorité de la pensée platonicienne, sa maturité, le point d’aboutissement qu’il constituerait dans l’histoire des idées, quand celle de Protagoras ne serait qu’un reflet de son temps, effacé par le temps.




• Or, si l’on prend la peine de s’intéresser aux quelques fragments, lignes et pages qu’il nous reste du philosophe, on découvre toute la puissance, la force pénétrante, l’éclair subversif que constitue la pensée de Protagoras. Après lui, on ne peut plus voir le monde et la vie de la même manière, signe et signature d’une grande Santé intellectuelle, d’une vraie philosophie. Il y a même une sorte de césure, de coupure, de tranchant entre Protagoras et ses prédécesseurs. D’où l’image, sur laquelle nous reviendrons, de philosophe au javelot. Qui permet de continuer à remettre en cause les lieux communs de l’idéologie et de déranger.

I) Portrait de Protagoras

• Protagoras nait à Abdère, en 492-494, suivant les dernières recherches. Il nait donc un peu avant les guerres Médiques, ces célèbres guerres qui opposèrent les Grecs aux Perses, et menèrent les premiers à renforcer leur sentiments d’identité (490-480). Il n’est pas athénien, ce qui a son importance, mais un métèque, ce qui justifie la « jalousie » platonicienne (c’est ma thèse : un mélange de haine et d’admiration) et qui permet d’expliquer une pensée de la différence, comme nous allons le voir.


• En effet, au début du dialogue, le Protagoras, Platon nous montre un Socrate jaloux : c’est au début du dialogue, Socrate est réveillé en pleine nuit par Hippocrate qui tout excité lui apprend la venue de Protagoras. Suit alors une petite démonstration socratique sur l’inconvénient d’être l’élève d’un sophiste.


• On a aussi une description qui frise l’ironie lorsque Socrate arrive chez Callias, l’hôte de Protagoras et d’une ribambelle de sophistes, dont Prodicos de Céos : Protagoras se fait suivre de disciple, dont les deux fils de Périclès, Xanthippe et Paralos, et par toute une autre clique de jeunes gens, entraînés derrière lui « comme un nouvel Orphée », selon Platon.


• Mais à ce moment là, il est assez âgé, sorte de star, dont on n’a pas vraiment d’exemple actuel. Mais une star payante : on a bien aujourd’hui des possibilités de passer une journée avec une star si l’on veut bien y mettre l’argent




4 anecdotes comme apéritif à la philosophie de Protagoras : qui décline chacune un élément de sa philosophie dans laquelle nous rentrerons en détails peu après : l’utilitarisme, le perspectivisme, le relativisme et l’agnosticisme.




A) Le docker et l’utilitarisme


• L’intérêt philosophique de l’anecdote : permet de fixer une pensée facilement dans l’esprit de manière simple et condensée, dans une forme exprimant le fond.


• Un des premiers éléments biographiques dont nous disposions au sujet de Protagoras nous est fourni par Diogène Laërce, ce compilateur de vies et de doctrines de philosophes début du IIIème siècle après notre ère, qui nous dit que Protagoras était un docker.


• C’est son premier métier, nous dit-il. L’anecdote raconte que Démocrite, le philosophe matérialiste et hédoniste, se promenant sur les quais du côté d’Abdère aurait remarqué Protagoras, non pas à cause de sa beauté, ni de ses simulacres, mais pour son habileté à porter des fagots de bois. De là Démocrite l’aurait pris sous son aile… en fait ce n’est pas vrai, c’est Protagoras qui est l’ainé de Démocrite, et si influence il y a eu c’est du premier sur le second. Encore une manière de dire l’infériorité des sophistes sur les philosophes.


• Signification du Protagoras docker : les érudits se sont livrés à des élucubrations sur la nature de l’invention de Protagoras : la Tulè, désigne une sorte de matelas, une natte rembourrée ou un coussin à bourrelet… Jeannine Bertier va même jusqu’à dire qu’il s’agit d’une manière d’emboîter les branches entre elles et en déduit, que l’invention est plus mathématique qu’artisanale. C’est faire peu de cas de l’attitude de Protagoras envers les mathématiques.


• Pour nous : ce qui importe, que ce soit vrai ou non, c’est l’ingéniosité, l’habileté, le savoir-faire, l’artifice qui est derrière. Symbole de vertus de du sophiste : la ruse mise au service de l’utile. Les fagots de Protagoras fonctionnent comme les mots que le sophiste « fagote » pour persuader.


• Valeur qui se dessine : l’utile. Pour l’individu ou la Polis, la cité. Introduction d’une morale mais aussi d’une politique utilitariste. On est loin avant Bentham et Stuart Mill et la fondation de l’utilitarisme anglo-saxon. Au XVIIIème siècle.




B) Le javelot et le perspectivisme


• Autre élément biographique : on sait que Protagoras s’est entretenu toute une journée avec Périclès, le grand stratège athénien, au sujet d’un accident qui s’était produit dans un pentathlon : Epitime de Pharsale évoqué par Plutarque, historien et philosophe du IIème siècle après notre ère, a été frappé par un javelot mortellement. Protagoras et Périclès consacre alors leur journée à se demander si c’était, selon l’argumentation la plus correcte, le javelot, celui qui l’avait lancé, ou les organisateurs du jeu qui étaient coupables.


• L’idée n’était pas de procéder à une hiérarchie des responsabilités – dans l’antiquité, pour le droit archaïque, un objet peut-être déclaré coupable. Et de condamner tout le monde à des degrés différents.


• Il s’agit de démontrer l’impossibilité dans laquelle on se trouve de la fixer, sinon de manière arbitraire.


• Trois causes peuvent être invoqués, et tout aussi légitimement selon le point de vue adopté : pour le médecin, c’est le javelot qui a causé la mort ; pour le juge c’est celui qui l’a lancé ; pour l’autorité politique, c’est l’organisateur des Jeux.


• La leçon de cette anecdote est celle d’un perspectivisme, le mot est de Nietzsche, qui tend à montrer qu’il n’y a pas de juste en soi, permettant de trancher dans des cas juridiques concrets.


• Ce perspectivisme ou relativisme, on va le rencontrer à nouveau, quand nous nous pencherons sur les arcanes de la pensée de Protagoras : « l’homme est la mesure de toute chose », « Sur toute chose, il y a deux discours opposés », « il n’est pas possible de se contredire »…



C) Le procès et le relativisme


• Aulu-Gelle, dans ses Nuits-Attiques, rapporte qu’un jour qu’il demandait ses honoraires à son élève Euathle, celui-là lui répond : « Mais je n’ai pas encore remporté de victoire ! » Et Protagoras de répondre : si je l’emporte contre toi, c’est moi qui aurait remporté la victoire, et il faudra alors que je sois payé ; si, par contre, c’est toi qui gagne, alors c’est toi qui aura remporté une victoire, et il faudra bien que j’en sois payé.


• Ce devait être se genre d’histoire légendaire que l’on se racontait sur Protagoras : pour tout une partie de l’intelligentsia de l’époque, aristocratique, c’est la preuve que Protagoras est cupide, que sa philosophie est déterminée par son auditoire et non par la Vérité, qu’il est le premier à s’être fait payé.


• Pour nous, c’est la démonstration que le discours le plus faible, peut devenir le discours le plus fort, l’une des grandes leçons de Protagoras. La vérité est relatif, et que ce « relatif » l’est avant tout vis-à-vis du langage et de son usage.


• Il ne faut pas oublier que Protagoras a commis un ouvrage intitulé de L’art de la lutte, qui donnait probablement des techniques de lutte, pour partir de la position la plus désavantageuse et se retrouver finalement, dans une position supérieure.


• Autre anecdote qui va dans le même sens : Protagoras répondit à un poète qui l’injuriait parce qu’il n’approuvait pas ses vers : « Mon cher, j’aime mieux t’entendre m’injurier que d’entendre tes poèmes ». On est bien dans un horizon agonistique, de la lutte, de la mise au sol, avec des mots.


D) L’autodafé et l’agnosticisme


• Protagoras fait la lecture à Athènes de son livre Les Antilogies qui commençait la section Sur les dieux par l’aphorisme suivant : « Des dieux, je ne puis savoir ni qu’ils existent, ni qu’ils n’existent pas : car beaucoup d’obstacles empêchent de le savoir, l’obscurité de la question et la brièveté de la vie de l’homme ».


• Il est alors accusé par un dénommé Pythodore, un des Quatre-Cents, c'est-à-dire un partisan de l’oligarchie. Et est invité à quitter Athènes.


• On brûle alors ses livres sur l’agora, la place publique.


• Cette anecdote montre bien l’aspect subversif de la pensée de Protagoras puisqu’ils sont allés jusqu’à lui brûler ses livres. Pas beaucoup d’exemples de philosophes à qui cela est arrivé : bien que cette pratique devait être un peu plus courante dans l’Antiquité qu’aujourd’hui. On a bien Démocrite, encore un Abdéritain, dont Platon projetait de brûler les livres, mais ce dernier fut découragé par l’ampleur de la tâche… Ce ne fut pas le cas pour Protagoras.


• Exil : pour lui, ce n’est pas un problème, c’est un sophiste, par nature itinérant, nomade de la pensée qui circule de cité en cité pour donner ses cours et instruire les jeunes gens riches, ambitieux de devenir de citoyens puissants.



Après avoir « gouté » et entrevu le corps protagoréen, un corps qui triomphe et survit, nous allons aborder la pensée du philosophe, animée de deux temps : un temps de destruction, un temps de re-construction.



II) Tableau de la philosophe protagoréenne.

Si Protagoras est un esprit révolutionnaire, c’est qu’avant tout, il est venu mettre un terme à une manière de voir le monde pour proposer une voie alternative : la comédie d’Aristophane intitulée les Nuées montre bien comment le discours protagoréen s’oppose à une pensée en place, commune et dominante : l’innovation guette la tradition musicale, l’argumentation rationnelle, la poésie ; l’agnosticisme et le cynisme, la mythologie ; le nihilisme moral, les valeurs traditionnelles – tout cela au moyen de la rhétorique, de Peito, la persusasion.

A) La destruction ou le réalisme des Antilogies

Diogène Laërce affirme au sujet de Protagoras qu’il a dit le premier que sur toute chose, il y a deux discours contradictoires. Le thème du discours double était le thème principal des Antilogies, l’un des ouvrages les plus connus de Protagoras. Par là, ce dernier exprime de manière inédite un sentiment profondément enraciné dans la culture grecque :


• Il y a la nature de la religion grecque, qui est un polythéisme, dont le principe est celui de l’éparpillement du divin, d’une pluralité de dieux qui souvent s’affrontent et contrebalancent leurs pouvoirs. L’esprit qui pense le monde comme pluriel et polycentrique (Poséidon contre Athéna, par exemple) dira volontiers la brisure, le clivage.


• Ainsi du temps : pas de fragmentation uniforme, pas d’horloge mécanique, le temps est au contraire celui de l’occasion favorable, du kairos qui paraît et disparaît arythmiquement, donnée tantôt à l’un, tantôt à l’autre, mais jamais bonne pour tous.


• Ce déhanchement du temps s’aggrave d’une dissémination des lieux : le monde politique grec est formé de plein de cités-Etats, atomes de pouvoir qui se heurtent et s’entrechoquent.


• Le concept d’antilogie est à mettre en rapport avec le climat des tragédies d’Eschyle, le premier des trois grands tragiques grecs : l’action tragique se développe à l’intérieur d’une situation où le héros se trouve pris ente deux feux : son devoir relève d’actions prescrites et défendues. Oreste, dans la pièce éponyme doit accomplir et ne pas accomplir le matricide pour satisfaire le vouloir divin. « Arès s’en prend à Arès, Dikè à Dikè ».


• La pratique de la démocratie grecque. La décision politique est toujours discutée devant le peuple, elle est donc toujours discutable, modifiable.


• Origine polémique du discours double : bellum= duellum qui se retrouve dans l’institution judiciaire grecque, où tout procès prend figure de combat. En grec agôn désigne aussi bien le procès que la bataille, la lutte.


• Poids de la pensée du philosophe Héraclite, comme Protagoras, un ionien : vision d’un réel contradictoire et affirmation de l’existence des contraires. « Le combat est le père de toute chose, de toutes, le roi » dit Hércalite. Protagoras, lui, renonce à rendre l’immédiateté de la contradiction et le coupe deux, en antilogie, en deux discours, chacun en soi-même cohérent.


• D’où réhabilitation de la doxa, de l’opinion, dont les démentis constituent la loi même de la vie, et les aspects d’une réalité changeante.


Le plan des antilogies, d’après le Théétète de Platon devait être le suivant :

1) L’invisible

• Rappel de l’exorde : « Des dieux, je ne puis savoir ni qu’ils existent, ni qu’ils n’existent pas : car beaucoup d’obstacles empêchent de le savoir, l’obscurité de la question et la brièveté de la vie de l’homme ». Cet agnosticisme est une sorte de point neutre entre les deux discours opposés qui se font face au sujet des dieux, celui de la croyance et celui de l’incroyance.


• Ce point neutre s’explique par le fait qu’on parle ici du domaine de l’invisible et du caché. Protagoras faute de pouvoir opérer une phénoménologie du divin réserve sa réponse.


• Ce moment permet le mouvement suivant dans la pensée de Protagoras, l’affirmation de l’homme-mesure. Si les dieux ne se laissent pas affirmer, alors, il y a l’homme. Naissance de l’humanisme.


• Platon répliquera dans les Lois : Le dieu est la mesure de toutes choses.

2) Le visible


a) Perdus sont les travaux de cosmologie, on n’a que de vague allusions (Eustathios)


b) L’ontologie de Protagoras s’en prend aux Eléates et à Parménide, selon laquelle l’Etre est un et pour qui les sens ne peuvent être crus. Cette réfutation de Parménide est la condition de la vision antilogique du monde : L’Etre est obligé de tolérer l’existence de l’opinion…


c) La politique et le droit = champ privilégié de la vision antilogique (je dirais réaliste) du monde. Dans le domaine de l’anthropologie, l’ambigüité règne. Confère l’histoire d’Epitime de Pharsale.


d) Enfin les mathématiques : Protagoras là aussi tente démontre que, comme tous les arts, les mathématiques sont sujettes aux antilogies et se contredisent. Il prend l’exemple de la tangente à un cercle qui est supposée toucher le cercle en un point. Lorsqu’on trace la droite et le cercle sensible, on s’aperçoit que la tangente touche le cercle en plusieurs points et que la définition contredit le réel.


D’où la question de la vérité. Comment savoir ?


B) La construction d’une pensée « positiviste »

Les deux autres moments de la pensée protagoréenne appartiennent à l’autre grand ouvrage de Protagoras, la Vérité. Ce sont des moments constructifs.

1) L’homme-mesure

• Pour construire à partir de la vision réaliste du monde, il faut une mesure qui va permettre de décider d’un sens, quand même.


• D’où la formule célèbre : « L’homme est la mesure de toutes choses, des choses qui sont, qu’elles sont, des choses qui ne sont pas, qu’elles ne sont pas » .


• Les termes : en grec, « choses » = non pas « pragmata », mais « Xremata » qui désigne une chose dont on se sert, une chose utile. Le terme de « mètron », on le traduit par « mesure » ou par « critère ». Pour le mot « homme » (« anthropos »), les Anciens entendait l’homme singulier, l’individu, le sujet ; mais on peut élargir à l’universel, l’humanité dont essence appartient à tout homme.


• L’interprétation : la formule est assez énigmatique, courte, destinée à être mémorisée, elle doit frapper.


• Mais il y a une difficulté de la formule : fixer le sens, c’est tomber dans un piège, Platon et Aristote ont bien-sûr fait valoir l’argument, puisque la phrase, pas plus que le reste ne saurait échapper à l’universelle mobilité. Donc, si toutes choses trouvent leur mesure en l’homme (subjectivité individuelle), elles perdent alors toute possibilité de mesure. Une référence sans référence.


• A quelle condition l’homme devient-il la mesure, si ce n’est ni par la subjectivité, ni par nature ? Ce sera par convention/ artifice, souvenez-vous de l’histoire de la Tulè. Artifice et la convention deviennent une métrétique cohérente et arbitraire.


• Donc, rien n’est par nature tout est par convention, comme le dit le célèbre mythe de Prométhée.


• Stabilité de la nature n’est nulle part, mais on trouve une stabilité artificielle. D’où, l’ordre qui définit la nature, c’est celui de l’art humain, la loi et l’éducation (pour le philosophe-voyou, étrange retour de la loi…pour des questions)


• Exemple de l’eau : l’eau n’est plus de l’élément où l’on se noie depuis qu’il y a la convention « natation ». Autrement dit, ce qui fonde une valeur n’est pas sa vérité, mais le fait qu’elle est voulue. Ce qui fonde le droit n’est pas la nature, mais le fait qu’une société l’accepte (d’où la loi de la Famille n’empêche pas d’enfreindre la loi de la société)


• Inévitable diversité des établissements humains, Hérodote en est plein.


• Une société est cimentée par l’acceptation des valeurs transmises, par l’éducation ; et là petit tour de passe-passe : les vérités, comme l’éducation viennent du sophiste…


• La convention n’est pas menacée par la contradiction car elle réclame, non pas l’universalité, mais la communauté.

2) Le discours fort

(Le deuxième temps de la Vérité, c’était le discours fort.)


• D’où comment faire pour créer le consensus ? Il faut donc que son discours, dans la mesure où il est faible, autrement dit qu’il est impartagé – à peine peut-on lui donner le titre de discours, puisque le discours appelle la communication, la communication, le partage…


• Lorsqu’un discours personnel rencontre l’adhésion d’autres discours personnels, ce discours se renforçant de tous les autres devient un discours fort et constitue la vérité.


• Pour sauver Protagoras, cette théorie a été mise en rapport direct avec la pratique politique athénienne de la démocratie, C’est Gilbert Romeyer qui affirme cela : il se fonde sur une analyse des textes de Platon (la République, notamment) et du vocabulaire. L’idée est de prouver que le discours fort chez Protagoras, c’est le bon discours du gentil démocrate, qui est capable selon ses propres termes de « rallier les consentements et de construire une république des esprits… » .


• Pour répondre en deux mots : d’abord, il s’appuie sur Platon. Et ignore le réalisme qui caractérise Protagoras : le discours fort est susceptible d’être utilisé par tous, y compris ceux qui roulent pour leur propre intérêt, et qui ne sont pas, non plus, contre la démocratie. Cela n’exclut pas le machiavélisme.


• En fait le « discours fort » de Protagoras nous fournit la clé de l’ontologie protagoréenne. L’être devient l’objet de l’accord des hommes entre eux. L’apparence est fondée en convention et le sophiste y travaille (peut-être d’ailleurs est-il un rempart contre la tyrannie, dans la mesure où son statut est lié à l’exercice de la démocratie, il n’a pas intérêt à mijoter de jeunes tyrans…) : c’est la convention qui détermine le bien et le mal.


• On a à faire à un relativisme opératoire : la science et la morale ne sont pas fondés en nature, mais par l’opération des hommes, par leur artifice, leur accord, leur convention.


• A nous de faire la distinction, le seul critère est l’accord entre les hommes.


• Le relativisme fonde des valeurs qui ne reposent que sur la convention et l’accord arbitraire. En somme tout dépend de la communauté, de la société où vous vous trouvez. Les lois ne cessent d’être valables que lorsqu’elles cessent de faire l’objet d’un accord entre les hommes. L’exemple de la peine de mort est édifiant à ce sujet là…



Prenons un petit peu de recul sur notre tableau du philosophe au javelot qui transperce les vielles croyances pour les terrasser et en apporter de nouvelles.


• La vérité des choses donc se trouvent en l’homme plutôt que dans les choses elles-mêmes. On a là la découverte de la subjectivité. Ce n’est pas rien. La naissance du sujet moderne. Le principe fondamental de la philosophie de Protagoras est donc l’affirmation que l’être de l’objet est phénoménalité, et que tout phénomène est déterminé par la conscience qui le perçoit et le pense.


• Et la valeur de l’apparaître se fait en fonction du degré d’utilité : de même que le médecin par ses remèdes remplace les symptômes de la maladie par ceux de la santé, de même le sophiste sait remplacer un apparaître sans valeur et sans utilité, par un autre meilleur, avec valeur et utilité, c'est-à-dire qui rend service et que l’on peut utiliser. Cette utilité définit alors le degré plus ou moins grand de vérité.


• On retrouve alors un thème de la pensée de Nietzsche : l’œuvre de l’homme supérieur est de créer la Valeur. Il parle de pragmatisme vital. L’homme vit dans un monde de valeur, et l’homme supérieur est donc l’auteur du monde tel qu’il le vit. Il aurait pu écrire, paraphrasant Protagoras, « le surhomme est la mesure de toute chose ». Le « vrai » devient alors ce qui sert les intérêts et les besoins de l’homme, ce qui est requis par sa nécessité vitale.

Conclusion : je vous invite donc à être les mesures, les mètres de la vérité au sein de votre communauté, en imposant par le discours fort, votre vitalisme.

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